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...:::Ansible:::...

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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Ansible
Publié dans : #Films
Du Singulier majestueux au féminin viscéral

Je ne peux pas ne pas revenir sur mon Ode à la bête, malgré toutes mes bonnes résolutions. Car je suis restée sur ma faim en traitant du premier Alien, contrainte de laisser de côté sa nombreuse descendance et frustrée de ne pouvoir dire tout le bien que j’en pense.

C’est donc à Aliens : le retour que je m’attaque aujourd’hui. Le film de James Cameron sort en 1986, soit 7 ans après le chef d’œuvre de Ridley Scott, et dans un contexte cinématographique très différent. La science-fiction est à la mode, en ces années-là. Elle a aussi beaucoup changé, comme si le règne incontesté de La guerre des étoiles sur les écrans n’avait fait qu’accélérer sa mutation. Quand il est question pour lui de prendre la succession de Ridley Scott, J. Cameron est auréolé du succès de son Terminator, un film qui résume à lui seul la vision du réalisateur. Car si Ridley Scott est un remarquable styliste capable de s’adapter à (presque) tous les genres, James Cameron, pour sa part, est un homme d’obsessions. Et il va utiliser de manière assez inattendue l’univers d’Alien pour les incarner à l’écran.

Il part cependant avec un handicap de taille. La matière formelle du premier film (destiné à l’époque à n’être qu’un « tir isolé ») ne lui permet pas de jouer sur le même terrain, à savoir celui de l’angoisse pure. C’est pourquoi sans doute l’alien de Ridley Scott devient dans la vision de J. Cameron aliens au pluriel, c’est-à-dire la peur induite non plus par la menace dissimulée et inconnue, mais par la multitude. Il ne s’agit pas pour autant d’une trahison. Il s’agit de déplacer le combat sur un terrain que Cameron est sûr de maîtriser, et qui lui permettra de développer à son tour ses propres fantasmes. La question qui m’intéresse est de savoir comment il s’y est pris pour opérer ce glissement thématique sans dénaturer l’héritage du premier film.

Plantons un instant le décor. L’action d’ Aliens : le retour débute très exactement 57 ans après que Ripley ait expédié le monstre dans l’espace. Nous avions laissé l’héroïne en hypersommeil, errant dans le vide avec le mince espoir de voir sa navette de secours atteindre la terre. James Cameron reprend le fil tendu par Ridley Scott en basant sa séquence d’ouverture sur la découverte miraculeuse de la navette, et le sauvetage non moins miraculeux de ses deux occupants (Ripley et son chat). Commence alors un très long prologue qui voit Ripley reprendre pied dans la vie réelle, affronter l’ire de ses employeurs furieux qu’elle ait fait exploser leur cargaison près de 60 ans plus tôt, plonger dans les délices du choc post-traumatique à grands coups de cauchemars, et découvrir enfin que tout ce qui avait constitué son existence a volé depuis longtemps en éclats. Nous apprenons qu’elle avait une fille, et que cette fille est morte pendant son absence. Nous apprenons aussi que la fameuse Compagnie qui l’avait entraînée dans cette histoire n’est guère disposée à reconnaître ses responsabilités. Bref, le retour de Ripley sur terre est bien loin de constituer la « victoire » que nous, naïfs spectateurs, avions imaginé à la conclusion du premier film. A ce propos, il est intéressant de remarquer qu’en réalité, Ripley ne pose pas le pied sur la planète Terre elle-même ; son sauvetage, les soins dont elle bénéficie puis l’espèce de jugement que lui fait subir la Compagnie se déroulent dans les locaux froids et aseptisés d’une station orbitale. La saga toute entière se déroulera d’ailleurs hors de la Terre, faisant de cette dernière l’aboutissement rêvé, le havre peut-être, auquel Ripley aspirera jusqu’au dernier moment. Comme si le danger ne pouvait provenir que de l’étranger, et devait à tout prix être maintenu loin de nos racines (l’ironie étant, bien entendu, que Ripley n’atteindra la Terre qu’une fois devenue elle-même « étrangère »).

L’ouverture de James Cameron reprend donc très précisément chacun des points qui avaient donné son identité à la fois visuelle et thématique au premier film. Elle est lente, presque cérémonieuse, collant au plus près de Ripley et du désastre intérieur que celle-ci doit affronter. C’est sans doute à ce niveau que le réalisateur commence d’ores et déjà à s’approprier Aliens. Du personnage imaginé par Ridley Scott, il retient essentiellement le courage ; mais pour le reste, « sa » Ripley est avant tout un être dévasté qui n’aspire qu’à oublier tout ce qu’il a perdu. Il s’agit alors de la mettre en situation de devoir assumer ses pires craintes. Dans ce but, le scénario joue habilement avec ce qu’Alien, le 8ème passagerla Compagnie, bien sûr) décident alors d’envoyer un petit contingent de marines vérifier ce qui se passe là-bas, et leur représentant, un certain Carter J. Burke, est chargé de convaincre Ripley de les accompagner à titre de conseillère. C’est ainsi que démarre enfin Aliens : le retour. nous avait laissé deviner des pratiques managériales des grandes compagnies du futur pour contraindre Ripley à envisager son retour sur la planète où son équipage a découvert l’Alien. Nous apprenons à cette occasion que ladite planète, nommée Achéron (nous restons dans le symbolisme des noms caractéristiques de la saga), a été transformée en colonie de mineurs dont le travail est d’en rendre l’atmosphère respirable. Et voilà James Cameron débarrassé de l’irritante perspective d’équiper tous ses acteurs de scaphandres. Il va pouvoir se concentrer sur l’action, l’action pure, celle qu’il maîtrise le mieux. Comme par hasard, la colonie d’Achéron a cessé de répondre aux messages radio provenant de la terre. Les autorités (c’est-à-dire

La suite du film constitue, à mes yeux, l’illustration parfaite du talent de James Cameron pour l’action. Je n’ai pas l’intention de résumer ici les événements qui se succèdent à partir du moment où les marines atterrissent sur Achéron, je me contenterai de souligner l’incroyable montée de tension que le spectateur subit au fil de la progression des personnages. Car en tous points, Aliens : le retour prend le contre-pied  d’Alien, le 8ème passager. Alors que nous avions dans le premier opus sept personnages ordinaires soudain confrontés à l’inimaginable, James Cameron choisit de mettre en scène un groupe de soldats d’élites prêts à en découdre et sûrs de leur force. L’action en huis clos de l’original s’installe ici a contrario au coeur d’une vaste base courant sur plusieurs niveaux, dont les couloirs semblent sans fin et où le danger peut provenir de n’importe quelle ouverture. Quand il était question chez Ridley Scott de trouver un moyen de sortir d’un espace confiné, il devient chez James Cameron vital au contraire de fermer toutes les issues et de restreindre les zones d’accès. Là où les humains s’organisaient pour mener une chasse au monstre, ici, ce sont les monstres eux-même, multiples et intelligents, qui se transforment en meute et font des marines leur proie. Aliens le retour, double inversé d’Alien le 8ème passager, fait en quelque sorte le récit de son prédécesseur à l’envers. Et il fallait au moins cela pour nous surprendre, car le réalisateur n’oublie jamais que chaque spectateur dans la salle sait ce qui attend les marines inconscients. L’angoisse naît donc de l’accumulation du danger plutôt que de l’attente, du nombre plutôt que de l’unicité. L’Alien est devenu aliens. L’issue du combat n’en apparaît que plus incertaine pour les héros. Acculés et désespérés, ils en sont réduits à faire confiance à l'unique survivante de la colonie, une petite fille surnommée Newt qui semble avoir trouvé le moyen d’échapper aux monstres. Et c’est alors seulement qu’éclate le véritable dessein de James Cameron : montrer au grand jour le combat des espèces.

Mais pas n’importe quelle espèce, bien sûr. Car chez J. Cameron, l’espèce est avant tout une femme, une femme de préférence brisée qui reprend son destin en mains, une femme forte, donc, et chargée de sauvegarder à elle seule l’avenir de tout le genre humain. Le combat mythologique du premier Alien avait fait de Ripley une héroïne quasi-sanctifiée, opposant la blancheur aseptisée de sa tenue spatiale à la peau sombre et dégoulinante de la Bête immonde. Aliens : le retour s’empare du personnage tel que Ridley Scott l’a laissée, et le met face à son égal, ou plutôt son égale, autrement dit, la mère de tous les aliens. C’est ainsi que s’opère dans le film le glissement déjà lisible dans le titre. C’est ainsi aussi que nous passons du masculin au féminin, et que l’histoire devient tout à coup combat de métal contre griffes, de chair contre chair, d’une mère contre une autre.

 


    Pour en arriver à un tel affrontement ontologique, le film devra répondre à la seule question laissée en suspens dans le premier opus : d’où viennent les œufs d’Alien ? Et James Cameron d’ajouter alors au bestiaire propre à cet univers une de ses plus belles créations : la reine des aliens. Plus grande, plus rapide, plus dangereuse que tous ses enfants, elle est aussi d’une intelligence bien davantage que simplement humaine. La découverte par Ripley de, comment dire, la chambre d’enfantement de la Reineintimité. La Bête était jusque-là l’inconnue ultime ; elle s’incarne tout à coup de chair et de sang, de bave aussi, infiniment physique et infiniment proche de nous. Toute la dernière partie du film se concentre sur ce dernier point, sur l’horrible découverte que l’instinct maternel de Ripley devra affronter son exact pendant incarné par la créature dantesque qui enfante telle une machine biologique des dizaines de parasites ovipares.  Mère contre mère, deux espèces luttent pour leur survie respective. Et le combat filmé par James Cameron devient une ode mythologique à la puissance féminine dans sa nature la plus viscérale. constitue encore pour moi, après plusieurs visions, un véritable choc visuel. Car pour la première fois sans doute, l’alien ne nous est plus représenté dans l’horreur de ce qu’il accomplit sur les êtres humains. Non, ce que nous découvrons alors en même temps que Ripley (et avec la même incrédulité terrifiée), c’est la véritable nature du monstre, sa véritable



    Aliens : le retour permet donc à la quadrilogie de franchir une nouvelle étape. Nous sommes passés du monstre irréel et mythique à la prolifération dantesque des aliens sans que ceux-ci ne perdent rien de leur potentiel horrifique, ce qui est somme toute extraordinaire. Plus encore, l’univers de la plus parfaite créature cinématographique jamais conçue s’est enrichie d’une nouvelle figure qui s’inscrit idéalement dans la continuité du mythe. Avec un film bâti de scène en scène en double inversé de son prédécesseur, James Cameron a réussi à surprendre, et à ajouter une nouvelle dimension à l’angoisse, tout en développant ses propres obsessions.

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    Mais il est un dernier point que je souhaite aborder. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il me semble qu’Aliens : le retour est le seul film de la quadrilogie construit sur l’espoir, voire sur l’optimisme. Présenter ce film comme le portrait d’une famille en cours de (re)constitution est sans doute une extrapolation abusive des intentions du scénario. Cependant, lorsque l’on regarde le film dans le contexte des quatre opus, il apparaît indéniablement que ce chapitre-là reste le plus positif de toute la saga. Là où le premier long-métrage faisait le vide parmi ses personnages pour permettre l’éclosion finale d’une héroïne inattendue, Aliens : le retour prend le parti de donner à cette même héroïne une parenté tout à fait surprenante, constituée pour l’essentiel de marines désemparés mais aussi et surtout d’une petite fille qui devient l’enjeu ultime du combat pour la survie. Nous sommes là en terrain plus que familier pour James Cameron, dont la plupart des films mettent en scène un petit groupe résistant au mal, quel que soit l’aspect de ce mal. Mais la conclusion ultime du film est bel et bien que Ripley, et par là-même, l’humanité, a gagné. Qu’elle a conquis le droit de survivre et de rebâtir. Une telle fin n’appelait alors, dans le déroulement de la saga et avec toutes les figures imposées qui la caractérisent, que l’explosion de l’illusion. Et pour schématiser, le troisième film sera chargé de dynamiter par le pire l’optimisme que James Cameron avait voulu insuffler dans l’univers d’Alien. C'est peut-être même la seule véritable raison de son existence au sein de la quadrilogie.

 

Bérengère.

 

 

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Films

 

 

Hancock est un super-héros que personne n'aime. Il est malpoli, arrogant, et il essaie de noyer ses soucis dans l'alcool. De plus sa vie est inconnue pour lui avant 1927, date à laquelle il s'est réveillé dans un hôpital, menant une vie à la fois glorieuse et piteuse depuis 80 ans. Pourtant régulièrement les gens l'appellent pour éviter une catastrophe. Un jour il sauve un professionnel des relations publiques, Ray Embrey, d'une collision avec un train. Celui-ci lui propose sa collaboration afin d'améliorer son image. En rencontrant Mary, la femme de Ray, Hancock se sent irrésistiblement attiré par cette maîtresse de maison énergique. Responsable de nombreux dégâts, Hancock accepte de passer quelques temps en prison, dans l'attente qu'on l'appelle pour encore une fois sauver le monde.

Hancock a été initié par Will Smith pour incarner un anti-super-héros, casser son image de gars invincible qui sauve le monde à chaque sortie, comme dans Men in Black, I, Robot et Independance day. Hancock boit, sauve les gens, mais en faisant des dizaines de milliers de dollars de dégâts à chaque sortie. Très vite j'ai trouvé le film un peu dégoulinant de bons sentiments. Le seul véritable intérêt que j'y aie trouvé est les quelques sorties d'humour dont il est parsemé. L'interprétation, qui repose sur trois acteurs (Smith, mais aussi la délicieuse Charlize Theron et Jason Bateman), est plutôt bonne, mais cela ne suffit pas, selon moi, à faire de Hancock un chef d'oeuvre.
C'est juste un bon film qui n'aura servi à rien, ou presque, sauf peut-être à rappeler aux gens qui était John Hancock. En effet, lorsque Hancock (le super-héros) quitte l'hôpital dans les années 1920, on lui dit de faire son "John Hancock" sur un registre, c'est à dire tout simplement le signer. John Hancock a vécu au 18ème siècle ; ce fut un homme politique américain de premier plan, puisqu'il fut le premier à signer la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis. Depuis, "faire le John Hancock" est une expression courante. Etant amnésique, notre super-héros ne connaît pas cette histoire, et croit que c'est son nom. C'est celui qu'il a gardé au fil du temps.

Pour moi le film est sympathique, sans plus.

Spooky

 


 

 

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Vie du blog
Vu sur le blog de mon amie Erwelyn : un appel à textes pour une publication de nouvelles ayant comme thème (ou cadre) la planète Mars. Reprenez la plume, les amis, Bérengère, Stéph, elveen, et ceux que j'oublie, je connais vos plumes, au boulot ! Pierig, je ne sais pas s'ils cherchent un illustrateur...

Faites-vous connaître auprès des deux anthologistes, les amis !

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Livres

Je continue mon exploration de l’arrière-boutique de l’œuvre de JRR Tolkien, avec cet ouvrage paru il y a 4 ans, célébrant les 30 ans de la disparition de l’auteur du Seigneur des Anneaux. Dirigé par Vincent Ferré, Maître de Conférences en Littérature générale et comparée à l’Université Paris XIII, cet ouvrage se veut un jalon sur la recherche au sujet de l’un des plus grands auteurs du XXème siècle.

Les articles, rédigés par de nombeux chercheurs français, américains, britanniques, québécois et italiens, sont introduits par un article du directeur sur la réception critique de l’œuvre de Tolkien en France. Il est à noter que jusqu’en 1977, et donc la parution –posthume, car achevée par son fils Christopher- du Simarillion, Tolkien n’était perçu, en tant qu’écrivain, que comme l’auteur du Seigneur des Anneaux, paru pour la première fois 20 ans auparavant. A partir du Silmarillion, les choses changent. Tolkien n’est plus seulement un écrivain contant les aventures d’un groupe de personnes dans un décor de fantasy, mais un démiurge qui a non seulement jeté les bases d’un univers séduisant, mais surtout développé de façon encore jamais vue ledit univers, avec sa cosmogonie, sa chronologie, ses langues et sa mythologie. Une mythologie dont, selon Tolkien lui-même, l’Angleterre manquait cruellement. Son objectif était donc de réaliser cette mythologie.

Mais revenons aux sources ; le principal artisan de la découverte de l’auteur en France est Christian Bourgois, l’éditeur qui l’a publié en 1972-1973, soit juste avant la mort de l’écrivain. Fait cocasse, Bourgois a publié Tolkien sans le lire, se basant sur les conseils de Jacques Bergier, écrivain qui l’évoquait dans Admirations.


Après ces apéritifs, le recueil entre dans le vif du sujet avec une première partie intitulée Confluences. On y trouve une étude du fameux tournoi d’énigmes entre Bilbo et Gollum (dans Bilbo le Hobbit), inspiré par des œuvres plus anciennes, notamment issues de la mythologie nordique, grand champ d’étude de Tolkien. L’article suivant s’attache à analyser la place du Seigneur des Anneaux dans une tradition plus vaste, qui s’étend géographiquement à tout le continent eurasisatique. C’est la figure de l’anneau, ou du cercle, qui préside à cette tradition. Paul Airiau, historien spécialiste des religions, s’est lui attaché à analyser l’une des scènes les plus marquantes du Seigneur des Anneaux, à savoir la chute de Gandalf dans les ténèbres de la Moria. Il propose une lecture spirituelle de la séquence, montrant la présence d’un entité suprême qui a tiré les ficelles lors de ce seul évènement. Au travers de cette lecture, et d’autre, les chercheurs appuient sur un élément souvent ignoré dans l’œuvre de Tolkien : sa foi profonde, qui transparaît finalement assez peu dans ses écrits, bien moins cependant que chez son ami Clive Staple Lewis, auteur du médiocre Narnia écrit à la même époque. Cette influence de la religion et des traditions indo-européennes est également analysée à travers la présence et la lutte entre le Bien et le Mal dans toute l’œuvre romanesque de Tolkien (enfin du moins dans ce qu’on appelle le cycle d’Arda, Arda étant le nom du monde).

La seconde partie, intitulée l’Arbre et ses branches (quel beau titre) nous propose de rentrer plus précisément dans la trame narrative de l’œuvre. On commence par une enquête sur l’origine des langues inventées, ou plutôt adaptées par Tolkien. On y trouve une analyse fine, ainsi que des tableaux schématiques représentant les similitudes entre les langues d’Arda et l’évolution de la langue anglaise, depuis le proto-germanique jusqu’à l’allemand, le frison, le yiddish, les dérivés néerlandophones (hollandais, flamand, afrikaans), les langues scandinaves et bien sûr, l’anglais moderne. Michaël Devaux, agrégé de philosophie, nous propose ensuite une approche méthodologique afin de lire la somme romanesque de Tolkien. On apprend ainsi que l’auteur a réalisé plusieurs versions de ses œuvres (ce qui n’étonnera personne, vu que Tolkien n’estimait jamais ses textes comme finis), que le Silmarillion a connu une première version 60 ans avant sa publication finale, en 1977. Il est à noter que c’est Guy Gavriel Kay, autre auteur de fantasy connu, qui a aidé Christopher Tolkien à acherver la rédaction de ce recueil. L’œuvre de Tolkien est truffée de paradoxes, puisque Le Seigneur des Anneaux et Bilbo le Hobbit sont des textes publiés mais non définitifs, et que l’Histoire de la Terre du Milieu et le Silmarillion, en particulier, sont des textes définitifs (si l’on fait confiance aux continuateurs du Maître), mais non autorisés par l’auteur.

Au cœur de ces mélanges survient –et ce n’est pas innocent- l’analyse de l’un des textes les moins connus de JRR Tolkien, Feuille, de Niggle. Ce court récit ne prend pas place dans le cycle d’Arda, mais se pose en fait comme une sorte de manifeste de l’écrivain que tente d’être Tolkien. Jérôme Bouron, doctorant en littérature générale et comparée à Paris XIII, parle même de « testament poétique préalable », d’ »incarnation transparente de la théorie esthétique de Tolkien ». celui-ci livre dans ce récit ses peurs, son mode de pensée, ses réflexions sur son travail, se livrant un peu, mais finalement pas tant que ça. La longue métaphore au sujet de l’arbre et de ses ramures vaut à elle seule la lecture de ce petit texte, que l’on peut trouver dans Faërie.


L’ombre noire constitue la troisième partie du recueil. Comme vous vous en doutez, nous y trouverons les analyses (mais aussi les origines littéraires) de nombre de figures maléfiques présentes dans Le Seigneur des Anneaux, telles que les orques, les Êtres des Galgals ou les Spectres de l’Anneau, dont les origines ne sont pas toujours claires dans le récit. Le second article propose une lecture géographique du Mal, ce qui nous amène au dernier article de cette troisième partie, qui s’est penché sur le racisme chez l’auteur. On a souvent reproché à Tolkien des relents de racisme dans ses écrits, notamment dans la personnification ou la manière de s’exprimer de ses créatures maléfiques. C’est le voisinage temporel de la publication du Seigneur des Anneaux (en 1954-55, rappelons-le), qui a amené de nombreux commentateurs à faire ce rapprochement. Mais Tolkien a toujours clamé, et ce dès la montée du nazisme dans les années 1930, son dégoût pour ce phénomène. Rappelons également que ceux qui pouvaient incarner une pensée « raciste » (au sens où le définit Lévi-Strauss) le payent chèrement. Que l’on se souvienne du destin de Boromir pour s’en convaincre. Et rappelons le parcours de la Communauté de l’Anneau, qui rassemble des êtres très dissemblables, et qui au final poseront un regard rassembleur sur les autres (à cet égard, la relation entre Legolas et Gimli est exemplaire). En outre, l’imagerie peu subtile adoptée par Peter Jackson dans son adaptation contribue à brouiller ce message.

 

Curieusement un article concernant la figure du héros a été intercalé juste avant ce papier sur le racisme. Il relève la parenté d’Aragorn avec Beowulf, mais aussi d’autres figures classiques et/ou mythologiques. Frodo, à sa manière, participe aussi de cette tradition, dans la mesure où il est un personnage de petite taille, presque un enfant (y compris dans son aspect naïf), mais aussi un citoyen ordinaire, qui se retrouve propulsé dans une aventure trop grande pour lui. En cela il s’oppose à Aragorn, personnage épique par excellence, qui était resté caché pour apparaître ensuite en pleine lumière et accomplir son destin, que l’on croit glorieux. Or la fin de ces deux personnages est loin d’être classique, ni même heureuse, en ce qui concerne Frodo. C’est à la lecture de ce type de réécriture des mythes que l’on peut dire, sans exagérer, que Tolkien a non seulement réactualisé nombre de figures classiques, mais les a également refondées.

La quatrième partie propose une lecture des relations entre Tolkien et les arts. Dans une œuvre à portée épique comme Le Seigneur des Anneaux, il est intéressant de noter la place des couleurs. Ainsi dans le roman le gris et toutes ses nuances tiennent-ils une place prépondérante. Le texte suivant se propose de faire une analyse des deux films de Peter Jackson. Oui, j’ai bien écrit « deux », car à l’époque de rédaction des différentes contributions, seuls deux des trois films étaient sortis. C’est là que réside, à mon goût, la grosse faiblesse de ce recueil : à trop vouloir coller aux « trente ans », les chercheurs se sont privés de la possibilité de juger, analyser et comparer les trois films réalisés par le Néo-Zélandais en short. Comment, en effet, être satisfait face à ces analyses incomplètes ? Cependant la critique (si tant est qu’on puisse la qualifier ainsi) est assez bienveillante, dégageant des axes de réflexion par rapport au rôle tenu par Jackson.

Pour conclure ce recueil de très bonne facture, on trouve un entretien avec John Howe, l’un des deux (avec Alan Lee) meilleurs illustrateurs de l’univers tolkienien, et qui a contribué étroitement aux effets visuels (créatures, décors) de la trilogie sur grand écran. Une introduction très intéressante sur la manière dont il conçoit l’illustration, presque instinctive chez lui. Pour finir, Anne Besson, Maître de conférence dans l’Université d’Artois, propose une première approche sur la façon dont l’œuvre de Tolkien a influencé les cycles de fantasy contemporains, approche dont la conclusion est qu’aucun n’a vraiment su, pour l’heure, se délivrer de son modèle, et qu’en plus celui-ci a fourni les bases pour de nombreux jeux, une influence dont on reparlera.

 

Au final, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce recueil concernant l’un de mes auteurs préférés. Au-delà du simple hommage, il contient énormément d’informations permettant de lire entre les lignes, de dégager des influences, mais aussi les origines de nombreux éléments littéraires, et montre de façon très informée que l’auteur a posé les bases d’un genre littéraire entier – la fantasy-, et ce pour très longtemps probablement. C’est aussi un ouvrage qui se veut globalement de vulgarisation, accessible à tout un chacun un tant soit peu intéressé par l’œuvre de Tolkien et par le processus de création littéraire, même si certains essais sont plus difficiles d'accès que d'autres.

Tolkien, trente ans après (1973-2003) – Sous la direction de Vincent Ferré ; Christian Bourgois Editeur, 2004

 

Spooky

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Livres

Le Procès de la sorcière (Le Chant de l’Oiseau de nuit tome 1) – Robert Mc Cammon.

Bragelonne, 2008.

 

Il est étonnant de voir comment des auteurs qui se sont fait un nom dans le domaine de la terreur, du fantastique ou de la SF sont capables d’investir un autre genre et d’y connaître la même réussite. Je pense à des auteurs comme Serge Brussolo, Jean-Pierre Andrevon ou Michel Jeury, pour ne citer que des Français. Nous allons étudier le cas de Robert Mc Cammon, journaliste et auteur américain qui s’est fait connaître dans le domaine de la terreur. Ces romans Scorpion ou le Mystère du Lac restent pour moi des souvenirs de lecture assez prenantes, dans lesquelles l’irrationnel était fortement promu par une écriture nerveuse et inventive. Mc Cammon a pris sa retraite d’écrivain dans les années 1990 (à à peine 40 ans), mais est revenu sur sa décision en lançant la publication du Chant de l’Oiseau de nuit, dont le premier tome, Le procès de la sorcière, sort aujourd’hui en France.

Les premières pages révèlent un style intact, et même meilleur que ce qu’il faisait précédemment, au service d’un polar médiéval de haute tenue.

 

Les citoyens de Fount Royal, petit village de Caroline, croient leur ville maudite par une sorcière. Comment expliquer autrement les incendies spontanés, les récoltes gâtées et les meurtres épouvantables ? Persuadés que la trop belle Rachel Howarth, la veuve du pasteur récemment décédé, est responsable de ces maux, ils la jettent en prison en attendant son procès et son exécution. Le juge itinérant Isaac Woodward vient bâcler l’enquête et présider un procès écrit d’avance, avec l’aide de son astucieux clerc Matthew, qui, en dépit de tout, croit à l’innocence de Rachel. Et ce qu’il va découvrir va en effet bouleverser ses croyances et sa vision du monde… Parviendra-t-il à sauver une innocente ? Ou va-t-il au contraire tomber dans le piège d’une femme aux charmes trompeurs et diaboliques ?

 

J’ai très vite été pris dans l’histoire. Pas forcément du fait de son sujet – que l’on nous présente comme se situant entre le Nom de la Rose et Sleepy Hollow-, mais plutôt par les éléments d’écriture que l’auteur y insère. En effet il prend le parti de bien nous présenter ses personnages, en particulier Woodward et Matthew, en leur installant qui un passé formidablement décrit, qui une zone d’ombre concernant son passé. Le tandem traditionnel des polars est ainsi réinventé, avec des postures narratives bien différentes. Ces deux personnages sont d’ailleurs les seuls, dans ce premier volet, à être ceux dans les pensées desquels le lecteur s’immisce. Là encore, cela donne deux points de vue parfois bien différents sur un même évènement, ce qui lui confère une importance accrue.

 

Le roman se situe en 1699, dans le sud de l’Amérique naissante, à une époque où la chasse aux sorcières battait son plein. Arkham, 18 exécutions, Salem, 25 exécutions. Qu’en sera-t-il à Fount Royal ? Fount Royal, où les preuves contre Rachel Howarth s’accumulent. Plusieurs habitants l’ont vue s’adonner à des pratiques contre nature avec le diable en personne. On a trouvé des poupées apparemment sacrificielles dans sa maison. Pourtant la plupart des témoignages semblent contenir une faille, une incohérence qui n’apparaît pas à première vue. Pendant ce temps, Fount Royal se vide lentement de sa population, Fount Royal se meurt. La disparition de la sorcière pourra-t-elle inverser la tendance ? Nombreux sont ceux qui souhaitent voir aboutir très rapidement le procès. Mais une affliction fiévreuse du magistrat et l’incarcération temporaire de son clerc retardent l’échéance, un répit que tous deux mettent à profit pour tenter d’élargir leurs investigations.

 

Le roman constitue la première partie d’une somme plus importante, puisque le tome 2 est prévu pour septembre (déjà !), et que l’auteur vient d’achever le tome 3. Le héros de cette somme est clairement Matthew Corbett le clerc. Intelligent, mais pas trop dans le sens où il est un peu téméraire, plutôt ouvert, c’est un personnage intéressant. Le roman est très prenant, car il nous plonge, comme je l’ai dit, non seulement dans les pensées des deux personnages principaux, mais nous permet également de suivre une enquête judiciaire telle qu’elle devait de passer à la fin du 17ème siècle. Comportant des éléments de modernité, c’est une époque encore engoncée dans une pensée obscurantiste, comme en témoigne la récente affaire de Salem. Mc Cammon n’appuie pas sur le registre fantastique, essayant de réaliser une étude sociologique plutôt fine d’une ville-utopie de cette époque, avec l’environnement correspondant. Il y a finalement assez peu d’action dans ce premier tome, puisque Mc Cammon pose les bases de son univers, très réaliste. Un classique, sous réserve de lecture de la suite.


A voir sur le site officiel du roman (http://www.leprocesdelasorciere.com/), une bande-annonce.


Spooky.

 

Retrouvez cette critique sur Babelio.

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